Histoire du « plombage dentaire »

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 40-42)
Information dentaire
L’amalgame dentaire et son instrumentation ont joué pendant plus de 170 ans un rôle majeur dans l’histoire de l’Art dentaire. Si le but de cet article n’est pas de polémiquer, notons que la polémique au sujet de l’utilisation de l’amalgame dentaire, de sa toxicité, fait aussi partie de son histoire.

Historiquement, des obturations dentaires métalliques ont été mentionnées, mais exceptionnellement réalisées, probablement avec du plomb ou de l’étain. On sait qu’en 1514, Giovanni da Vigo tassait déjà des petites boulettes d’or dans des cavités dentaires, technique des aurifications reprise par Robert Arthur en 1855. De fines feuilles d’étain, moins onéreuses que l’or, ont aussi été essayées.
L’amalgame aurait déjà été utilisé en Chine pendant la dynastie Tang (618-907) comme matériau d’obturation dentaire nommé « pâte d’argent ». À l’époque Ming, en 1505, Liu Wen T’ai en décrit une composition précise : 100 parties de mercure, 45 d’argent et 900 de zinc.
En Allemagne, des obturations dentaires à l’aide d’amalgame sont réalisées en 1528 par Johanes Stockers, médecin à Ulm, qui parle, dans son ouvrage Praxis Aurea, d’un l’amalgame qui « durcit comme la pierre dans un trou de la dent ». Mais l’amalgame dentaire ne s’imposera vraiment dans le monde occidental qu’à partir des années 1830.

XIXe siècle, naissance de l’amalgame d’argent dentaire

Tout aurait commencé dans les premières années du XIXe siècle par de fines feuilles d’étain tassées dans des cavités dentaires plus ou moins préparées, puis par l’utilisation de l’alliage Darcet (8 parts de bismuth, 5 de plomb et 3 d’étain). Cet alliage ancien bien connu a été retrouvé et repris en 1775 par le médecin et chimiste
Jean Darcet (1724-1801). Fusible à 92 °C, il est foulé dans sa forme ramollie avec des fouloirs à boule chauffés. En 1818, le dentiste parisien Louis Nicolas Regnart (1780-1847), dans son Mémoire sur un nouveau moyen d’obturation des dents de l’Art du Dentiste, conseille d’ajouter 10 à 40 % de mercure à l’alliage Darcet, abaissant ainsi son point de fusion à 76 °C et facilitant grandement sa manipulation en bouche.
Dans la même mouvance, le dentiste Auguste Taveau, s’inspirant de la redécouverte par le chimiste anglais Bell des propriétés de l’amalgamation en 1819, met au point et préconise en 1826 un amalgame dentaire avec 50 % de mercure et 50 % de poudre d’alliage à deux tiers argent et un tiers étain. L’amalgame d’argent dentaire est né. Ce nouvel « amalgame », par ses qualités, s’impose rapidement comme un matériau de choix.
L’amalgame traverse rapidement l’Atlantique grâce aux frères Crawcorn qui l’importent dès 1830 aux États-Unis. Ceux-ci, d’ailleurs, utilisent de la limaille de pièces en argent d’un dollar comme poudre métallique. Une terrible controverse s’installe dans le pays, certains réfutant l’usage du mercure. Ce sont les « jours de Crawcorn », en 1833, interdisant l’utilisation des amalgames.
Toujours outre-Atlantique, en 1896, Greene Vardiman Black fait faire un grand pas à l’Art dentaire. Il énonce et enseigne les principes des préparations des cavités dentaires avec « extensions for prevention » en réalité édictés pour l’usage des amalgames. De plus, il améliore les proportions de l’alliage en préconisant 65 % d’argent, 30 % d’étain, 5 à 6 % de cuivre auxquels seront ajoutés plus tard un peu de zinc et du palladium. Ces spécifications seront définitivement adoptées par l’American Dental Association (ADA) en 1926 pour une quarantaine d’années.
Dans les années 1960, de nouvelles recherches, avec de nouvelles propriétés physico-chimiques, aboutissent à l’utilisation d’une série d’amalgames à « dispersion de phase ». La polémique reprend le dessus en 1960 avec la catastrophe de Minamata au Japon, due à une intoxication industrielle au mercure. À partir de 1963, de nouveaux alliages apparaissent comme ceux enrichis en cuivre, réduisant ainsi la quantité de mercure pour l’amalgamation, et les alliages dits ternaires à trois constituants de structure très homogène et d’une stabilité remarquable. Notons d’autres alliages quaternaires « high copper single composition » avec d’excellentes propriétés physico-chimiques sans relargage mesurable. Au cours des années 1970, un progrès considérable est réalisé avec la nouvelle génération des alliages Non Gamma2.
On estime que 10 millions d’amalgames étaient réalisés chaque jour dans le monde, dans les années 1990 !

Rapidité, efficacité, simplicité

Autour de 1985-1995, de nombreux pays occidentaux mènent des enquêtes approfondies et conservent leur confiance en l’innocuité relative des amalgames. De plus, à partir de 1998-2001 s’impose l’obligation de n’utiliser que des capsules prédosées industriellement sans contact mercuriel.
De nombreuses études faites à partir des années 1960 sur les patients et aussi sur les équipes soignantes font état d’une mercuriemie et d’une mercuriurie légèrement plus importantes que la norme. Cependant, 170 années d’utilisation de l’amalgame d’argent ne semblent pas avoir permis de découvrir de maladies professionnelles remarquables chez plusieurs générations de praticiens.
Incontestablement, l’amalgame d’argent dentaire a été l’obturation de choix pendant plus de 170 ans. Très économique, cette obturation a participé efficacement à la démocratisation des soins dentaires. Elle est d’une résistance remarquable et reste de qualité très convenable malgré parfois des conditions limites de réalisation. De plus, cet amalgame est d’une manipulation rapide, d’une application et d’un foulage aisés, avec la réalisation de bons points de contacts efficaces, se sculptant bien et d’un réglage occlusal immédiat complété par un ajustage naturel lors des mouvements cinétiques parfois extrêmes, y compris quelques jours plus tard. C’est une obturation d’une fiabilité exceptionnelle, d’une pérennité sans comparaison. C’est ce qui a expliqué son succès.
Mais pas de polémique ! Sans aucun doute, le mercure est toxique et, quelles que soient les qualités de l’amalgame, il ne peut plus être utilisé, ni pour le soigné, ni pour le soignant. Quels matériaux peut-on maintenant utiliser ? Les résines composites et verres ionomères sont-ils sans relargage ? Gestion des polymétallismes en milieu buccal !
De nombreux chirurgiens-dentistes dans le monde réalisent encore des amalgames en 2017. Il est vrai de moins en moins, car certains nouveaux matériaux sont moins chers que l’amalgame. Mais probablement l’amalgame dentaire va-t-il disparaître des techniques dentaires non pour des raisons de toxicité, mais plus pour des raisons économiques.

Qu’est-ce qu’un amalgame ?

En métallurgie, l’amalgame résulte de la combinaison par trituration d’une poudre d’alliage métallique avec du mercure. Classiquement, l’amalgame dentaire d’argent est constitué d’environ 50 % de mercure (en masse) et de 50 % de poudre d’alliage métallique (argent 80 %, étain 15 %, cuivre 5 %).
Après son amalgamation, pendant qu’il est encore mou, il est essoré dans une peau de chamois pour enlever les excès de mercure de manière à obtenir un amalgame manipulable gardant d’excellentes qualités après son durcissement. Rappelons aussi que le mercure libre, non combiné, est toxique.

Pour plus d’informations
www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad
www.biusante.parisdescartes.fr/mvad
www.biusante.parisdescartes.fr/aspad/ expo111.htm

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